Le droit et la morale évoluent constamment. C’est leur propre. C’est fascinant. Etre à l’avant du train et anticiper apporte son lot d’avantages. Etre à l’arrière du train et surfer une dernière vague permet d’encaisser ce qui peut juste encore l’être. Cette évolution s’applique naturellement aussi à l’économie. Certains travers et certaines crises se représentent cependant régulièrement, comme certaines fraudes. Il y a des choses sur lesquelles people don’t learn. Quelques idées en divaguant de choses en choses. Madoff n’a d’exceptionnel que l’ampleur de sa fraude, qu’elle ait berné un tel nombre de professionnels et cela dans un environnement en principe hautement régulé. Il y a cependant eu des milliers de Madoff et il y en aura encore. Vous avez trouvé Madoff écoeurant, malhonnête ? Vous aimerez par exemple Marc Dreier [1]… Vous avez malheureusement été « eu » par Madoff ? Votre banque ou votre gérant auquel vous vous en plaindrez vous répondra huit fois sur dix que vous aviez choisi un profil d’investissement agressif. Cette réponse intuitive ou de fortune est évidemment mauvaise : l’agressivité du profil couvre le risque économique inhérent de l’investissement mais pas le risque de fraude et encore moins commise et diffusée grâce à des manquements de diligence des professionnels situés en amont de Madoff. Quant à l’avocat de ce dernier, il rappelle opportunément que pour préserver un système qui protège les honnêtes gens, il faut défendre ceux qui ont été malhonnêtes.
Dans les banques et le secteur financier, une profession a des beaux jours devant elle. Vous pensez à un Chief Ethics Officer ? Vous avez faux. Dans l’aftermath de la crise, les professions financières ne font finalement aucunement leur autocritique et cela à un point effarant. Elles font comme lors de toutes les crises : le gros dos, attendent que ça passe, le prochain Bull Market, et redessinent à peine leurs modèles. Le poste qui a de l’avenir : Chief Cover Your Ass Officer. Deux axes. Premier axe : compiler toutes les données nécessaires à, variante i) exercer sa due diligence, variante ii) prétendre qu’on a exercé sa due diligence parce qu’on a compilé les données. Deuxième axe : organiser juridiquement la relation de manière à faire passer, à transférer artificiellement dans la sphère de décision du client le plus de choix et décisions de gestion possibles, lesquels i) appartiennent matériellement à la banque et ii) que le client ne prendra en réalité que parce qu’il en aura reçu l’input de la part de la banque. Au même titre que les tribunaux ont appris à pierce the corporate veil, il faudra qu’ils pierce the appearance et n’en soient pas dupes.
People don’t learn. L’UBS n’est pas encore sortie de l’hôpital qu’elle repaie aux Etats-Unis des primes et bonus en tous genres pour attirer des gérants avec de la clientèle. Le bonus de bienvenue serait dans les normes du marché soit 200 à 260% des revenus générés par la clientèle apportée lors de l’exercice précédent (Le Temps du 4 février 2009). Alors que l’absence de lissage des primes dans la durée, et la rémunération à court terme, ont été causals dans la crise actuelle, cela recommence droit derrière. C’est un double problème. Tant que les centres de profits seront rémunérés de manière découplée des autres métiers, lesquels permettent pourtant aussi au bateau de naviguer, et tant que la clientèle sera considérée en elle-même comme un simple actif négociable captif, ces causes de cette crise perdureront – sauf intervention législative ou réglementaire. Ce déséquilibre en faveur des centres de profits, traders, gérants et autres « vendeurs » constitue une vision faussée et perverse de l’entreprise. Personne ne songe à rémunérer le contrôleur interne ou l’analyste qui a « évité » Madoff ou tel fonds mal géré, en ne faisant rien que son devoir, en lui accordant un bonus de 35% sur les pertes ainsi évitées. Le raisonnement serait pourtant le même.
En conclusion, la majorité des acteurs fait à peine l’aftermath de la crise, que ce soit au plan éthique ou économique, et les grandes révisions législatives et réglementaires annoncées avec fracas ne se font pas jour. Etait-ce une crise du crédit, de la titrisation, strictement financière ou plus fondamentale, la faute à Greenspan ou la faute à pas de chance ? Et si c’était finalement un crise de moralité – et c’est tout ? Take the money and run. Empiler les rémunérations, tirer les couvertures à soi, titriser paqueter fourguer encaisser and run. Un immense churning à échelle planétaire – parce que vendre c’est encaisser une commission et la générer. Ne pas savoir où s’arrêter, qu’il n’est pas viable ni honnête de ponctionner la partie matérielle d’une valeur au-delà d’un point donné, revendre plusieurs fois, composer, démultiplier, c’est peut-être effectivement là une crise morale avant d’être financière, économique ou juridique. Parce que celui qui fait abstraction du gain immédiat sait et comprend que it doesn’t fly et/ou que ce n’est pas convenable. Alors que le « tous pourris » du gauchiste de base est une expression excessive, réductrice et qui ne porte plus pour avoir été utilisée jusqu’à la carricature, l’idée d’une crise morale est perçue par beaucoup mais rarement énoncée convenablement. Cela semble être désormais le cas sous la plume d’un professeur américain sur Huffington Post, sous le titre « A crisis of character [2]« . Le seul hic, c’est que nombre de professions financières concernées ne semblent pas être en mesure de le réaliser ni de prendre des mesures concrètes pour s’en amender.