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Crise financière : L’intervention du droit pénal aux Etats-Unis – pourquoi aux Etats-Unis seulement ?

Avant que la crise financière et désormais monétaire et boursière n’en arrive au degré actuel de gravité globale et systémique, la question d’une plus forte régulation des marchés a été posée et débattue ces dernières semaines. C’était un débat intelligible sur les vertus ou la nécessité d’un cadre plus marqué pour prévenir les abus et défaillances du système financier – puisque la crise a été créée en premier lieu par le système financier. Versus l’autorégulation, plus doctrinalement capitaliste, laquelle passe par des crises, leur intégration et le défaut et la faillite, mais isolés, des plus faibles. Ce à quoi les historiens de l’économie ajoutaient que les règles nouvelles ne prévenaient cependant jamais que ce qui s’était déjà passé et ne se reproduirait de toutes manières plus, mais pas les crises et défaillances nouvelles dues à des conjonctions de situations inédites, ou des constructions ou activités financières nouvelles et par définition en avance sur le cadre réglementaire. Dans cette soupe compliquée, il y a encore des facteurs également complexes comme l’impact des normes comptables et les défaillances des agences et normes de notation financière.

Il est un aspect des choses qui est toutefois passé totalement sous silence en Europe s’agissant de cette crise et qui est l’intervention du droit pénal, essentiellement aux Etats-Unis, avec ses composantes répressives et préventives et dès lors régulatrices. N’y a-t-il de financiers ayant fauté pénalement qu’aux Etats-Unis ? L’intervention du pénal aux Etats-Unis n’est-elle que le reflet d’une mentalité ou d’un activisme judiciaire ? Sûrement pas – mais plutôt deux conceptions radicalement différentes de la vie des affaires des deux côtés de l’Atlantique et qui méritent quelques réflexions.

En Europe, la finance déteste l’intervention du droit pénal. Elle n’est pas dans les mœurs en tant que surveillance/régulation/prévention/répression sur les marchés financiers. Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a l’idéalisme que les métiers de la finance sont pratiqués par des gens formés, honnêtes et auxquels la surveillance administrative suffit. Du coup, les autorités de poursuite pénale ne s’intéressent pas aux marchés financiers et ne sont elles pas formées à cela. Elles n’interviennent finalement que sur de rares plaintes et dans des cas d’infractions classiques dérivées du vol et de l’escroquerie, bref celui qui met les doigts dans la confiture ou astuce son prochain. De fait les condamnations pour délits d’initiés, abus de marché ou violations des dispositions pénales des lois administratives de surveillance prudentielle des marchés sont rarissimes sinon inexistantes. Même dans les affaires de criminalité financière ordinaire, moins technique et complexe que celles intervenant au cœur des marchés, l’instruction prend un temps excessif, les procès sont longs et pénibles et les quelques condamnations sont rares et peu sévères. Dès que des aspects comptables ou financiers sont en jeu, tout le monde nage, procureurs, juges, tribunaux, jurés. Disons-le donc clairement, les autorités de poursuite pénales ne surveillent pas les marchés financiers, ne sont pas outillées pour le faire, et les autorités administratives se gardent tout autant de les mettre en œuvre. Pourtant l’absence de poursuites ne signifie pas une absence d’infractions mais une absence des conditions cadres nécessaires à leur poursuite. Il n’y a pas, pour simplifier, zéro opérations d’initiés ou manipulations de marché en Suisse parce qu’il y a zéro poursuites ou condamnations de telles infractions.

Aux Etats-Unis, et à Wall Street en particulier, les autorités de poursuite pénale ont toujours été un chien de garde de plus en parallèle à d’autres autorités notamment prudentielles. Dans la crise actuelle, le catalogue de procédures pénales déjà en cours d’instruction est déjà long, et le nombre d’agents fédéraux en train d’enquêter sur des faits internes à cette crise se compte par centaines. Vous en doutez ? En voilà un échantillon :

Où veux-je en venir ?  – me direz-vous. Et que toute cette « activité » ou « menace » pénale n’a pas empêché cette crise ? Cela n’a pas empêché la crise mais évite que certains épiphénomènes délictueux se produisent ou permet qu’ils soient punis. Et cela est bien, cela est nécessaire. En réalité, les « marchés » ne sont pas plus vertueux que le reste du monde. L’on y oublie volontiers que certains actes internes peuvent contourner, de manière plus ou moins sophistiquée, des règles prudentielles ou administratives, mais violent néanmoins le droit pénal ordinaire, ou les dispositions pénales de lois administratives propres aux marchés.  Ou que certains peuvent agir crassement dans la panique ou la crise mais dans un environnement complexe rendant la détection des infractions difficile aux lésés ou à l’autorité. S’en souvenir a sa justesse en période de beau temps également – mais encore plus en période de crise. A chacun de se demander si en France, en Suisse, à la City de Londres, il n’y a aucun agissement de ce type – mais uniquement aux Etats-Unis. L’intervention du droit pénal, lorsqu’elle est fondée bien sûr, et toutes les personnes poursuivies dans les exemples ci-dessus ne sont pas encore non plus condamnées, est nécessaire. Non pour trouver des boucs émissaires mais parce que c’est une question d’honnêteté et qu’elle participe de la confiance dans le marché. Dans la crise actuelle, si à la perte de confiance systémique s’ajoute la perception par le public de fraudes impunies et d’acteurs véreux, c’est tout le système qui souffre plus encore.