
Avocats : Vers des écritures judiciaires interactives ?
Le rédacteur de ce blog vient d’être confronté, dans un arbitrage international sur un contrat soumis au droit suisse, à un avocat étranger pleurnichant de n’avoir reçu les « pièces juridiques », entendez par-là la doctrine et la jurisprudence citées dans une écriture. Au-delà des gesticulations stratégiques et d’une exégèse des principes applicables aux éléments de fait et de droit devant être prouvés dans une procédure arbitrale, la doctrine et la jurisprudence sont une source du droit en droit suisse. Ils peuvent être cités sans autres, le juge et l’adversaire les connaissant – parce qu’ils sont une source du droit précisément et en vertu du principe jura novit curia. Avant l’avènement d’Internet, la jurisprudence était publiée sur papier. Les avocats se constituaient au surplus des recueils d’arrêts non-publiés qu’ils se gardaient précieusement et jalousement. Certains avocats ou professeurs avaient accès à certains arrêts non-publiés ou qu’ils recevaient complaisamment des greffes contre quelques bontés ou saucissons de fin d’année. Cette pratique était discutable et a heureusement vécu. La doctrine était moins fournie et juges et praticiens disposaient de l’essentiel des publications. A défaut ils se rendaient à la bibliothèque du Palais ou de l’Université.
Avec l’avènement d’Internet et des principes de transparence de l’activité étatique et judiciaire, de nombreuses juridictions dont le Tribunal fédéral mettent désormais en ligne l’intégralité de leurs décisions – ce qui n’est pas sans effet sur la teneur et la perception de la jurisprudence, ce dont ce blog a déjà parlé. La doctrine est accessible en ligne sur des sites payants. Quelle suite y voir alors ? Probablement des écritures « interactives ». A l’heure de la soumission de mémoires judiciaires par email sous format électronique par clé et certificat chiffrés, attestant de la remise de l’écriture et du respect du délai, le mémoire de demain pourrait prendre la forme d’un fichier auto-suffisant supprimant à la fois l’écriture et les preuves sur papier. L’écriture, se lisant en format Word ou Pdf à l’écran, possèderait des liens pour chaque pièce citée, lesquelles s’ouvriraient dans une autre fenêtre lorsque le lecteur clique dessus. Il pourrait ainsi évaluer chaque élément de preuve au fil de la lecture sans avoir à suivre leur recueil sur papier – qui constitue souvent un volume important et nécessite partant une manutention physique – ou même à ouvrir les pièces électroniques d’un fichier distinct. L’étape suivante serait que les références de doctrine et de jurisprudence soit également accessibles par lien dans le texte, que le lien ouvre un document joint comme fichier sur le support lui-même ou en ligne dans un navigateur Internet.
Il est urgent de mener ces réflexions – à l’heure où la justice pénale anglaise passe au tout numérique mais où d’autres pays piétinent dans une manutention archaïque des dossiers judiciaires par les avocats et les tribunaux. Ce qui coûte beaucoup de temps et d’argent aux justiciables et à l’Etat. Ce qui précède relève d’une technologie logicielle disponible. Qu’attendons-nous donc ?