De nombreux politiciens prennent ces jours-ci une posture facile de dénonciation du fort et méchant – les Etats-Unis – contre notre pauvre petit mais honorable Etat de droit. Agression scandaleuse, atteinte à la souveraineté d’un pays, chantage du fort sur le faible, méthodes de pays voyou, tout y passe. C’est porteur au plan intérieur, limite populiste, mais rien n’est en réalité plus faux et cette posture est ridicule et nuisible. Elle procède d’une émotion compréhensible mais n’a aucune utilité ni impact dans notre relation avec les Etats-Unis, dans la gestion de cette crise, et pas davantage dans le débat sur le secret bancaire. Les Etats-Unis sont certes puissants et le font valoir, mais c’est précisément un état de droit et le problème est plus précis que cette posture simpliste ne le travestit. Comprendre ce qu’il en est aux Etats-Unis est nécessaire pour adopter la bonne attitude, et relativiser à plusieurs égards la portée du drame. Dissection et explication :
Le Deferred Prosecution Agreement [1] (cf. ce blog [2] du 19 février) procède précisément d’une action judiciaire en bonne et due forme, de la part des autorités compétentes, devant une autorité judiciaire indépendante. C’est un acte de justice, régulier et ciblé. L’UBS et la Suisse avaient parfaitement le choix de refuser de céder à la demande américaine d’obtenir tout de suite les 250 noms concernés. Il y aurait alors eu, le plus régulièrement également, une action pénale aux Etats-Unis contre l’UBS et le risque concret du retrait justifié en droit de sa licence bancaire. Mais cela à raison d’actes illicites commis aux Etats-Unis par l’UBS. Pour les Etats-Unis, il y a eu violation du droit américain sur le sol américain et le problème est là – et pas ailleurs. En déployant une activité bancaire illicite sur sol américain, l’UBS se retrouve par sa seule faute soumise à la justice américaine et à sa faculté d’injonction. Que cela entraîne un conflit interne en droit suisse est une réalité mais qui est une conséquence et un fait distinct, et dont il est dès lors jésuitique de se plaindre.
Les Etats-Unis ont-ils violé le traité d’entraide avec la Suisse en n’attendant pas le résultat de la procédure suisse de recours qu’il institue ? Cela se discute – mais n’est à nouveau pas le problème. La Suisse doit à ce titre réfléchir à la lenteur proverbiale de ses procédures judiciaires et à son juridisme tatillon. Les problèmes induits par cette situation dans notre ordre juridique interne sont eux réels et effectivement assez graves : y a-t-il eu violation de la séparation des pouvoirs, violation du secret bancaire, les dispositions de la loi sur les banques invoquées par la Finma permettaient-elles cette acrobatie ? Ce sont de vraies questions, complexes, fondées, mais qui relèvent de notre psychanalyse interne, de notre ordre juridique et de certaines de ses problématiques. Elles ne sont pas de la « faute » des Etats-Unis. Quant à l’aspect politique, donner ces 250 noms ne représentait aucun enjeu concret et constituait au contraire un très bon accord dans l’économie globale du litige judiciaire aux Etats-Unis – ce d’autant plus que le point des 52’000 autres noms n’y figure pas et a été réservé à la procédure par l’accord.
Reste la suite. Sur la transmission demandée des 52’000 noms, l’UBS défendra donc judiciairement aux Etats-Unis, dans une procédure équitable et indépendante dans laquelle elle jouit de tous ses droits de partie. Elle se retrouve à devoir le faire précisément à raison de son activité illicite sur sol américain, mais elle peut plaider et possède des arguments. Il y a bien un conflit positif [3] entre le droit suisse et le droit américain, ce qui est un problème de droit, lequel en sera le point crucial, mais qui ne se présente toujours que par la faute de l’UBS. La justice américaine sera-t-elle sensible à ce conflit, au problème de l’UBS devoir par hypothèse violer l’ordre juridique d’un Etat pour satisfaire aux réquisits d’un autre ? Ce n’est pas un problème inédit en droit – et c’est à suivre. Ce que les suisses ne comprennent pas dans l’intervalle, enferrés dans leur drame national, c’est que cette affaire est pour les Etats-Unis un aléa, un problème ponctuel, dont les répercussions sur d’autres aspects de nos relations avec eux sont limités. Les Etats-Unis ont un problème donné à régler, causé par l’UBS, et ils le règlent. Cette affaire UBS aux Etats-Unis sera paradoxalement plus dommageable dans le conflit avec l’UE, mais n’empêchera pas de faire valoir intelligemment, sérénité retrouvée, dans la discussion globale, les problèmes équivalents, et parce qu’ils sont réels et concrets, posés par Singapour, le Delaware, les trusts, les territoires dépendant du Royaume-Uni, etc.