Affaire Madoff : L’indigestion, le désarroi, quoi faire et « Too big to be resolved » ?

Posté le 29 janvier, 2009 dans finance / eco

Dans l’affaire Madoff, sept semaines après, c’est simultanément l’indigestion, un certain flottement, beaucoup de questions et un grand désarroi. Personne ne sait très bien qui attaquer, ni quand, ni où, ni comment, ni même ce qui se passe. Certains sont fébriles et veulent attaquer tous azimuts. D’autres sont KO debout et recouvrent leurs esprits. D’autres encore sont admirablement zen compte tenu de leurs pertes. La « black box » le demeure pour l’instant. Un peu paradoxalement puisque cela nonobstant le fait en soi rassurant de la mise en liquidation et des enquêtes judiciaires en cours. Personne ne sait toujours si Madoff traitait réellement, dans quels volumes, s’il a vraiment agi seul et comment il attestait d’avoirs qui n’existaient plus envers ses clients – dont des professionnels, directions de fonds et dépositaires/banques.  Les clients de fonds collectifs de placements, soit l’essentiel des victimes en Europe, ne reçoivent pas davantage d’informations utiles ou concrètes de ceux-ci, ce qui est frustrant et irritant. Beaucoup d’intervenants dans la chaîne se murent dans leur silence ou limitent leurs déclarations, probablement pour une large part sur le conseil de leurs avocats. Le trustee/liquidateur de Madoff poursuit son activité – mais n’est qu’au début d’un long processus. Quelques salves judiciaires sont tirées – mais où va-t-on au juste ? L’affaire Madoff, pour s’aligner sur d’autres vocables, est-elle « Too big to be resolved » ?

Il n’y a pas de droit de la faillite mondial et unifié, lequel aurait un sens dans un monde global mais n’existe pas et pour longtemps encore. Il n’y aura donc effectivement pas de consolidation juridique et financière, et donc de solution globale et cohérente, de toutes ses conséquences et ramifications. Il y aura contraire des solutions locales, ponctuelles et individuelles, au lieu où se trouve chaque intervenant de la chaîne portant une faute ou part de faute contractuelle ou délictuelle – même s’il n’a pas été l’un des auteurs de la fraude. Ce n’est de loin pas la première faillite financière internationale, et l’on pense en premier lieu à la liquidation de la BCCI. Ce sera néanmoins de loin la plus importante, la plus complexe et la plus éclatée internationalement. Certaines décisions judiciaires seront reconnues formellement dans d’autres Etats, ou prises en compte au titre de l’équité, mais de loin pas toutes.  D’autres seront impossibles à mettre en œuvre. Comment même envisager par exemple le clawback, le cas échant par des procédures judiciaires, des dizaines de milliers de remboursements intervenus, sur six ans ? Ils sont pour l’essentiel intervenus par des remboursements de parts de fonds voire de parts de fonds de fonds, auprès de milliers de clients dans des centaines de banques dépositaires dans le monde entier. C’est tout simplement inenvisageable – quand bien même la loi l’imposerait. Ou alors compenser les remboursements intervenus en faveur des fonds qui produiront dans la liquidation de BMISavec leurs propres productions – et reporter le problème en leurs mains ?  Les productions dans la liquidation devra-t-elle être basée sur la dernière NAV ou au contraire sur l’apport initial réel de chaque client moins ses éventuels remboursements, soit son intérêt négatif ? Il y aura là nombre de solutions nouvelles ou pragmatiques trouvées pour traiter des situations encore jamais rencontrées. Le nombre d’intervenants, dans plus d’une trentaine d’Etats, la rigidité et le formalisme judiciaire, et les contraintes temporelles procédurales, font qu’il y aura en tout état des règlements et décisions de justice contradictoires, voire des conflits négatifs de juridictions. Il y aura cependant en fin du compte tout de même de larges réparations pour une partie et ceux qui auront été patients ou pugnaces.

Un des aspects particulièrement intéressant de la situation est le nombre d’intervenants en chaîne, en cascade, dans une majorité de cas. En amont de BMIS, des fonds, parfois des fonds de fonds, leurs directions, managers, administrateurs, dépositaires, réviseurs, distributeurs, vendeurs. Au sommet de la chaîne les banques, conseillers en investissements et gérants externes ayant le cas échéant recommandé ou investi « dans Madoff » pour leurs clients, à titre professionnel et contre rémunération. Si Madoff a commis sa fraude aux Etats-Unis, une grande partie sinon la majorité de ces acteurs sont dans d’autres Etats où ils sont actionnables en justice. Le droit est ainsi bien fait que chaque intervenant peut agir contre ceux qui sont en aval et à qui il peut être imputé une inexécution contractuelle fautive (un bon exemple de l’argumentation développée, même tôt dans la compréhension de l’affaire, est la demande civile aux Etats-Unis contre Santander – je reviendrai dans un prochain billet sur ces arguments et sur l’indemnisation annoncée). Celui qui est condamné à réparation envers celui qui est en amont est subrogé à due concurrence en aval, à charge pour lui d’actionner à son tour tout intervenant suivant qui porterait ou partagerait également une part de responsabilité.  

De nombreux clients dépités sont de l’avis qu’il n’y a pas grand-chose à faire, et que ce qui pourra être récupéré par les fonds collectifs de placements dans lesquels ils étaient investis le sera – et sera réparti égalitairement entre les clients. C’est vrai dans une optique étroite, celle du seul rapport entre le porteur d’une part et le fonds collectif de placements. Mais encore faut-il que le fonds agisse et de manière adéquate et en ait encore les moyens. C’est faux dans une optique globale dans laquelle les actions en responsabilité potentielles contre d’autres et nombreux acteurs de la chaîne sont multiples. Une majeure partie d’entre-elles ne seront cependant pas exercées, faute d’argent, faute de connaissance, faute d’avocats, faute de vision ou faute d’en prendre le risque. Du côté des fonds de fonds, ceux qui n’ont que quelques pourcents de fonds « Madoff » dans leur composition ne font pas montre pour l’instant d’un grand entrain ni intérêt à agir. Ils se débattent avec leur chute de valeur, leurs problèmes de liquidité, les rédemptions et les « gates », la baisse de leurs revenus. Une perte supplémentaire de quelques pourcents dans le désastre est prise comme un aléa de plus, dilué par la pondération, à défaut de la diligence qu’il aurait fallu exercer. Les fonds dédiés à Madoff sont plus enclins ou plus contraints à agir. Leur seule chance (et celle de leurs animateurs personnes physiques) d’échapper aux prétentions de leur propre clientèle à leur encontre est de tenter de récupérer en aval sur la faute d’autrui, essentiellement les dépositaires et réviseurs.

A la complainte d’avoir perdu de l’argent, de nombreux clients ajoutent enfin celle de devoir maintenant mettre en œuvre et payer des avocats, et que ceux-ci s’enrichiront en ajoutant encore à la facture du désastre et à la crise économique. Les avocats vont effectivement déployer une activité importante et coûteuse. Ils ne sont cependant pour rien si tant de clients et de professionnels ont perdu le sens de la prudence avec ces fonds magiques aux rendements si consistants et résistants à la baisse des marchés. Ceux qui ont quelque ambition de recouvrer une partie de leur dommage à la faveur de la responsabilité des autres doivent mettre les moyens de cette ambition. Paradoxalement, le recours aux avocats est nécessaire lorsque le désastre est survenu et qu’il faut essayer de récupérer ce qui peut l’être avec ce qui reste. Peu ont pourtant consulté leurs avocats à titre prophylactique pour savoir ce qu’ils pensaient de ces structures éclatées dans plusieurs juridictions off-shore, avec empilages de commissions, d’intervenants, conflits d’intérêts patents, absence de transparence, absence de reporting, confusions des rôles, rétrocessions obscures ou inusuelles, clauses d’exonération de responsabilité léonines et suspectes, etc.. L’aveuglement du gain fait que la garde s’abaisse même devant une accumulation d’éléments juridiquement problématiques – dont la délocalisation dans des univers non ou moins régulés. Les avocats ne sont pas équipés pour déceler des risques, des anomalies ou des inepties de marché à caractère économique. Recourir aux avocats à titre préventif, pour identifier des risques simplement juridiques, de gouvernance, de juridictions, serait opportun comme en matière contractuelle. Mais comme en matière contractuelle, payer x quand tout va bien et que l’on a confiance semble bien inutile même si ce n’est qu’une infime partie de la casse en cas de problème…

une réponse à “ Affaire Madoff : L’indigestion, le désarroi, quoi faire et « Too big to be resolved » ? ”

  1. Matteo Pedrazzini dit :

    En amont les victimes sont connues. En aval l’escroc a avoué.

    Entre les deux c’est le marasme factuel, juridique et judiciaire. L’affaire Madoff à déjà montré les limites des autorités de « contrôle », il montrera aussi les limites des Tribunaux.

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