Aux défauts du système de garde à vue/mise en examen/contrôle judiciaire de la procédure pénale française, défauts qui sont graves et concrètement préjudiciables en termes de droits de la défense (cf. ce blog du 2 juin), s’ajoutent les fuites immédiates et immanquables lorsque l’affaire est médiatique ou implique un personnage public ou important.
C’est évidemment une distorsion de plus du système au préjudice du prévenu, pourtant présumé innocent. C’est un problème tellement récurrent en France que de nombreux ouvrages et commentaires lui ont été consacrés, de nombreux auteurs, avocats et magistrats, désabusés, n’hésitant pas à proposer même purement la suppression du secret de l’instruction vu l’incapacité à la faire respecter.
Les parties et avocats n’arrivent en effet jamais à faire ouvrir des enquêtes et encore moins à faire identifier les auteurs des fuites et à les faire sanctionner. Les magistrats haussent les épaules en arguant « qu’il y a beaucoup d’avocats dans les dossiers », sous-entendu qu’ils sont les auteurs des fuites lorsque cela sert un prévenu ou une partie (civile) envers les autres, et tout le monde sait également que les journalistes ont leurs oreilles et leurs bons procédés auprès des policiers et des juges, et parfois aussi auprès de certains avocats. Bref, tout le monde s’en moque et c’est devenu un fait acquis que dans toute procédure pénale française médiatique, les déclarations des prévenus et/ou témoins seront dans le journal en temps réel, parfois même avant que les avocats ne reçoivent copie des procès-verbaux.
Les prévenus hésitent souvent à s’en plaindre, surtout si la fuite vient vraisemblablement de la police ou du Palais, de peur de se mettre le juge à dos. Ce réflexe peut sembler surprenant dans un pays dans lequel les droits de la défense existent en principe – mais il est dû au fait que le juge d’instruction y a encore un pouvoir gigantesque dont la détention et le contrôle judiciaire, et au fait qu’il n’est quasiment et statistiquement jamais désavoué par la Chambre de l’Instruction.
Tout cela est évidemment regrettable car un prévenu dans une affaire sensible ne devrait pas être systématiquement exposé au risque de voir ses déclarations immédiatement publiées, souvent de manière partielle et tendancieuse. C’est une violation impunie et inadmissible des droits de la défense, et que la volonté judiciaire fasse clairement défaut alors que cela semble parfaitement possible.
C’est d’autant plus injuste que le système exclut de facto le droit de se taire, pourtant garanti fondamentalement. Dans l’engrenage garde à vue/mise en examen/contrôle judiciaire ou détention, celui qui choisirait le système de défense parfaitement licite de se taire a toutes les chances du monde d’irriter policiers et juge et de se retrouver en détention. La menace de la détention, exprimée ou latente, y reste donc un moyen de pression concret bien qu’illicite.
Indépendamment de toute considération de fond sur l’affaire, M. Forgeard a déposé plainte pour cette violation du secret de l’instruction. Il est courageux et pugnace et good for him. A la Justice de montrer maintenant si elle entend véritablement faire respecter la loi à cet égard également.